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Vendre au travers d’un écran serait-il déjà devenu le « nouveau normal » — pour reprendre l’expression anglaise — du commercial en BtoB et de la vente post-COVID ? C’est la thèse de Jean-Philippe Cunniet que j’ai interviewé pour Sparklane.
En BtoB, la technologie permet de vendre à travers un écran depuis 2001, date à laquelle je lançais la Web conférence chez ce qui est devenu ensuite Orange Business Services. Un terminal informatique, une connexion Internet et un outil pour communiquer (mail, visioconférence, réseau social…) suffisent théoriquement à vendre auprès d’un client. On pourrait même se risquer à avancer que vendre à travers un écran et au téléphone répondent à règles similaires et que, finalement, les dernières années n’ont pas vu d’évolutions significatives dans ce domaine. Et comme à chaque fois qu’on essaie de simplifier à l’extrême, on se trompe lourdement.
C’est, en effet, un véritable changement de paradigme qui s’est opéré cette dernière année avec le COVID et le bouleversement qui a remodelé le monde du travail. Car entre les promesses du numérique qui se profilaient à l’horizon et le changement à marche forcée qu’ont imposé les diverses mesures sanitaires, la vente BtoB s’est vue contrainte de s’adapter de façon radicale.
En témoigne un rapport de Gartner paru en février 2021, faisant état d’organisations forcées de revoir leur système de vente Business to Business, reposant traditionnellement sur une relation client-vendeur non-digitale.
Ainsi, l’analyste américain prédit que 80% des interactions vendeurs-acheteurs BtoB se réaliseront au travers de canaux digitaux d’ici 2025.
Ce changement contraint et quasi immédiat n’a pas échappé à Jean-Philippe Cunniet, qui, armé d’une longue expérience en ventes à l’international, sensibilise les dirigeants sur la notion de vendre à travers un écran. Car malgré la présence de la technologie et des outils numériques, la vente à travers un écran est plus complexe qu’il y paraît : ce n’est en effet pas qu’une question de transformation du vendeur, mais bien de l’ensemble de l’entreprise et de ses processus.
Le changement brutal auquel nous faisions référence précédemment a modifié les interactions entre le client et le vendeur, au détriment de ce dernier. « Dans un rendez-vous physique, le commercial menait le rendez-vous, il était dans une position un peu magistrale », précise Jean-Philippe Cunniet. « Du jour au lendemain, il se retrouve derrière un écran. On peut le « zapper », lui couper le micro, et cela l’angoisse. On a toujours peur de ce qu’on perd, c’est un biais cognitif important ».
Pourtant, au lieu de se morfondre, le commercial doit apprendre à tirer parti de ce nouveau paradigme. « En fait, une forme de liberté existe derrière l’écran, une capacité à convaincre qui est amplifiée par le fait qu’on est du même côté de l’écran. On est du même côté de la table, on partage le même écran. En présentiel, vous êtes en face à face d’un côté de la table, l’interlocuteur ne voit pas votre écran.
On va dans un premier temps regarder le grand écran, la présentation. Puis on va l’oublier pour ensuite se regarder dans les yeux, chacun de son côté de la table, comme un combat où chacun cache bien son jeu, ses documents, ses feuilles Excel, ses calculs, ses coûts de revient, etc. ».
Naturellement, on a tendance à croire que la posture type de la vente en BtoB n’est pas conçue pour être amicale, mais plutôt conflictuelle : « Quand on se lance dans un bras de fer, on se trouve assez loin d’une posture de collaboration », résume Jean-Philippe.
2020 a contraint les derniers réfractaires à céder sous la contrainte et à changer radicalement de point de vue. Avec un logiciel de visioconférence sur son terminal, « vous pouvez à tout moment illustrer vos propos, d’une image, d’un extrait vidéo, d’un témoignage client, d’un élément qui va prouver vos arguments. D’une posture de duel, on passe donc du même côté de la table que le client, avec le même écran, ce qui place le commercial dans la position d’aider son client ».
Privés de réunion en présentiel, nombre de commerciaux se sont sentis, à mauvais titre, dépossédés de leurs possibilités. Pourquoi à mauvais titre ? Car selon Jean-Philippe, les vendeurs BtoB se sont au contraire trouvés munis de trois nouveaux pouvoirs :
Premier pouvoir de la vente à travers un écran, le fait de se « téléporter » dans une réunion et de faire venir à tout moment un intervenant supplémentaire, en évitant ainsi les dépenses en temps et en frais de déplacement.
« En un clic, je me téléporte chez vous. Vous n’avez plus à attendre 5 jours à trouver une date de rendez-vous, et perdre du temps et de l’argent dans les transports. Aussi, si je n’ai pas la réponse à la question que le client me pose, je regarde dans ma messagerie interne si un autre expert est disponible. Alors je le téléporte dans notre réunion.
Ce premier pouvoir en a créé un second : celui de pouvoir arrêter le temps. Dans un rendez-vous en présentiel, il est difficile d’interrompre le cours de la réunion pour s’entretenir avec une personne de son entreprise à propos d’une question épineuse du client. A distance, il est bien plus aisé de recaler un rendez-vous ultérieur de quelques minutes pour continuer la réunion avec de nouveaux éléments.
« Imaginons que je suis en rendez-vous avec un prospect. Il est 9 heures du matin, il a une question très importante, et avoir la réponse nous permettrait d’avancer. Pourtant, on ne parle que depuis 10 minutes. Je propose que l’on coupe la visioconférence, ce qui va me laisser le temps de trouver la réponse. Au lieu de faire un rendez-vous d’une heure, on va peut-être en faire cinq de dix minutes ou un quart d’heure, et cela dans la journée. Mais d’ici ce soir, on aura résolu toutes les questions. »
La combinaison de ces deux pouvoirs offre au commercial le pouvoir ultime, celui de l’omniscience. En combinant les compétences des experts qu’il peut faire intervenir, il possède toutes les connaissances permettant de répondre aux questions du client.
« Le vendeur ne peut pas tout connaître. Prenons un exemple : j’ai conseillé une société qui vend 18 offres différentes à des clients sur trois secteurs différents. Si je suis un commercial mal organisé qui n’arrive pas à jongler avec toutes les matières, je vais ralentir l’acheteur. Je vais donc me retrouver obligé, dans bien des cas, de vendre à plusieurs. Seulement, vendre à plusieurs en présentiel est très coûteux. Le train, la voiture, le temps passé, la gestion des notes de frais, la nuit d’hôtel, etc., tout cela génère des coûts pour l’entreprise. Le commercial qui part en rendez-vous est donc souvent seul. Avant le rendez-vous, on réunit tout le monde, et on prépare le canevas de la négociation. Que va-t-on proposer au client ? Comment va-t-on argumenter ? Quelle offre lui fait-on ? A quel prix, avec quelle marge ? Et en fin de compte, une fois qu’on s’est entendus sur tous ces points, on envoie le commercial au feu. Alors qu’au travers d’un écran, on peut téléporter qui on veut : une personne, un document, une vidéo, etc. On peut également remonter la hiérarchie et trouver les bonnes réponses et les interlocuteurs qui vont peser dans la décision ».
« Le vendeur qui ne sait pas vendre au travers d’un écran ou qui refuse parce qu’il a du mal à se plier aux nouvelles normes est condamné. » prévient sans détour Jean-Philippe Cunniet. « La question n’est pas de savoir s’il refuse de vendre à travers un écran, mais à qui il le refuse. En réalité, il ne le refuse pas à son patron, il le refuse à son client. Le client va finir par refuser de lui donner un rendez-vous car le commercial n’est pas assez efficace. Si le commercial lui propose de venir le voir dans 5 jours parce qu’il est débordé, le client lui répondra qu’il a déjà 4 rendez-vous en visioconférence dans l’après-midi avec ses concurrents ».
En effet, l’acheteur a, tout comme le vendeur, été confronté de plein fouet à cette évolution. « Ils étaient sidérés, comme tout le monde, de se retrouver uniquement derrière un écran. Mais ils ont rapidement compris les avantages de cette situation, car un acheteur veut avant tout négocier en ayant le maximum d’informations, le plus rapidement possible, de la manière la plus concise et la plus complète », nous explique Jean-Philippe. Les rendez-vous en visioconférence, plus concis, plus courts et plus directs font ainsi gagner du temps, et permettent à l’acheteur de consulter plus de fournisseurs, et à terme de mieux choisir.
Pour Jean-Philippe Cunniet, le vendeur va devoir accepter ce changement pour rester compétitif : « finalement, on peut comparer cette période à l’invention du téléphone. Le commercial qui préfère aller voir le client avec sa sacoche de VRP plutôt que de décrocher son téléphone vendra moins. Le téléphone n’a pas remplacé le présentiel, mais a permis de prolonger la vente ou de la préparer.
Il faut donc faire prendre conscience aux commerciaux qu’être derrière un écran n’est pas un handicap, que ce n’est pas un confinement. C’est au contraire une libération de la possibilité de la parole, de la possibilité de convaincre. Mais cela demande de l’organisation. C’est en cela que je conseille des organisations commerciales sans cesse en ce moment sur la réorganisation de leurs processus » conclut Jean-Philippe.
Retrouvez l’intégrale de cette interview dans le podcast audio sur la chaîne de Sparklane.
A propos de Jean-Philippe Cunniet
Jean-Philippe invente de nouvelles techniques de vente B2B permettant d’augmenter la performance des commerciaux et des managers à travers un écran. En mettant à leur juste place les technologies, il prouve au quotidien qu’elles peuvent aider les relations clients / fournisseurs et accélérer le processus commercial.
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